La perversion
Posté le 30/12/2018
La perversion
Fétichisme, transvestisme, voyeurisme, exhibitionnisme, sado-masochisme sont autant de comportements qui permettent d’accéder au plaisir sexuel, autrement que par le traditionnel coïtus, dont nous ne raffolons pas tous. Eh oui ! Ce n’est parce que vous prenez votre pied uniquement au lit, que d’autres n’ont pas besoin de déviances pour érotiser leur quotidien de manière parfois franchement salasse. Sont-ils pour autant pervers ? Dans une certaine mesure seulement, parce - qu’avec la perversion, tout est question de degré. En revanche, un comportement pervers devient répréhensible par la loi lorsqu’il porte atteinte à la liberté et à l’intégrité psychique d’autrui.
Historique
Du latin perversus, qui signifie renverser, retourner, la perversion est tout d’abord considérée comme une déviation par rapport au coït admis comme un acte sexuel normal. Le pervers est un atypique qui obtient l’orgasme avec d’autres objets sexuels ou par d’autres zones corporelles que celles habituellement utilisées par ses congénères.
Avant Freud, d’autres auteurs se sont penchés sur la notion de perversion, et plus particulièrement sur celle de l’adulte. Dans « Trois essais sur la vie sexuelle », Freud propose une autre définition de la perversion qu’il considère comme faisant intégralement partie de la vie sexuelle. Ainsi, dès son plus jeune âge, l’enfant est-il un pervers polymorphe et la perversion envisagée comme une solution pour sortir de la crise oedipienne. Là, où le névrosé fait le choix inconscient du refoulement, le pervers fait celui du déni, mécanisme de défense principal de la perversion. En cela, la névrose est le négatif de la perversion, c'est-à-dire que le névrosé accepte les interdits en refoulant ses désirs sexuels, tandis que le pervers transgresse les interdits et parfois, la loi.
De nos jours, la perversion revêt plusieurs formes, puisqu’elle peut s’appliquer au sens moral, lorsqu’il s’agit de délinquance, ou encore à la nutrition en cas de boulimie et d’anorexie, troubles du comportement alimentaire pour lesquels on parle de déviation pulsionnelle. Il est également courant de qualifier de pervers certains sujets qui témoignent d’une cruauté ou d’une malignité hors du commun. On admet donc communément que le pervers est un manipulateur qui nie les désirs et les besoins d’autrui, au profit des siens. Ainsi, la perversion sexuelle ne serait-elle qu’une expression d’un comportement pervers qui consiste à se procurer du plaisir aux dépens de l’autre et en dépit de ses envies.
Symptômes
A quoi reconnaît-on une femme ou un homme pervers ? Tout d’abord, il déteste être seul. Non pas qu’il apprécie notre compagnie, mais il a besoin d’une proie, d’un objet à abattre, lentement, insidieusement, mais sûrement. Pas de coups de massue, non. Trop direct pour notre pervers qui jouit du déclin de son partenaire, auquel il inflige quelques petites souffrances de-ci de-là, se repaissant de sa déchéance morale et physique. Il nous a bien berné avec ses flatteries de vieux renard, reniflé, caressé dans le sens du poil. Il a capté notre désir. On l’admire parce qu’il est brillant, on l’écoute parce qu’il nous flatte, on le choie parce qu’il nous attendrit. Il a tant souffert, le pauvre. Et c’est quelquefois vrai. En d’autres temps, en d’autres lieux, il a été l’enjeu d’une dynamique perverse. Ne nous a-t-il pas rabattu les oreilles avec son enfance gâchée par des adultes qui abusaient de lui? C’est peut- être même notre propension à panser les plaies qui nous a propulsé dans ses bras de grand enfant malade. Seulement voilà, le pervers est un ingrat : non seulement il ne dit pas merci, mais en plus, il nous pourrit la vie, comme on a pourri la sienne. Quand on le démasque, il est trop tard. Tandis qu’on le plaignait, il tissait sa toile et le piège de l’emprise s’est refermé.
Pourquoi me faire ça à moi? Parce que le miroir aux alouettes ne réfléchit que le bon côté des choses et c’est comme ça qu’il nous leurre. Le pervers se présente presque toujours sous les meilleurs auspices, tandis que ses intentions sont mauvaises. Il détruit parce que l’autre n’est pas un partenaire, mais une menace. L’amour, le désir, l’idée de créer un lien sont des notions qui éveillent le plus de haine chez lui. Sa vie entière vise à les anéantir.
La femme perverse
La littérature et le cinéma fourmillent d’exemples de femmes perverses. Prenez la Marquise de Merteuil, l’héroïne des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos dont le roman fut adapté au cinéma. On la dit perverse, démoniaque et perdue de vices. Pourtant, la Marquise ne recherche pas délibérément le mal. Si elle manipule les sentiments d’autrui, c’est aussi pour se protéger. Dans ce jeu-combat avec Valmont, sa partie adverse, la marquise demeure vigilante, l’esprit toujours en éveil, sans jamais faillir à la mollesse des sentiments. Elle devine que sa défaite lui coûtera sa liberté. Alors, elle pique, elle flatte, elle griffe puis entortille sa proie. La Marquise sait qu’il lui faut des armes pour se défendre de sa condition de femme. Alors, elle utilise celles, redoutables, de la manipulation, de la parfaite maîtrise de soi et de l’offensive. En se faisant l’égale de l’homme, dont elle envie la puissance symbolique, la marquise feint de croire que la différence entre son rival et elle-même n’existe pas. Et c’est bien ce déni, mécanisme inconscient de la perversion, qui la protège d’une vérité insupportable.
Si la Marquise de Merteuil jouit de ses manigances et parvient à en tirer quelque satisfaction, il en va autrement pour « La pianiste » du roman de Jelinek, également adapté au cinéma par Hanecke. Erika, professeure de piano est froide, distante, hautaine et disciplinée. Cette femme de quarante ans se rend chaque soir dans un sex shop où elle hume en cachette des petites culottes. Sous le masque de glace, brûlent les braises d’une haine féroce, qu’elle voue d’abord à sa mère, puis ensuite à Walter, jeune élève qui lui fait l’affront de la courtiser. C’est ainsi qu’Erika ressent les choses du désir et de l’amour comme une menace. La menace de perdre son identité entamée par une mère abusive qui la prive d’intimité. S’ensuit alors une relation sado-masochiste entre Erika et Walter, auquel elle voue en réalité une passion juvénile et ambivalente. C’est lui ou la mort, lui ou l’amour.
L’homme pervers
L’homme pervers, c’est Sade par excellence, dont les écrits débordants de cruauté font l’apologie du viol et de l’inceste. Mais c’est aussi, de façon plus subtile, Don Juan, un sans foi ni loi dont les parades visent à détourner les femmes de leur propre chemin pour les mener jusqu’à lui. Chacun, dans sa façon de séduire, procède au détournement de la loi et du droit, infligeant à chacune sa douce violence dont il se dédouane. N’est –il pas de discours plus pervers que celui qui laisse croire que la cruauté infligée est étrangère à toute décision personnelle ? Car pour nos deux héros, c’est la nature qui les oblige à jouir des plaisirs que leur procure l’autre sexe, discours qui leur permet de décliner toute responsabilité en cas de dommage collatéral. Voilà pour l’homme pervers : il séduit, détruit puis se débine en toute impunité.
Pervers, lorsqu’on vous indique la bonne conduite à tenir, vous opinez du chef, mais c’est pour mieux nous berner.
En réalité, vous n’avez qu’une seule envie : nous faire la peau. Et votre savoir- faire en la matière est indéniable. Que l’on vous reconnaisse au moins cela, vous savez y mettre les formes et les mots.