La paranoïa
Posté le 30/12/2018
La paranoïa
On a parfois l’impression que tout le monde nous en veut, que des forces obscures se conjuguent pour mettre en échec ce que nous entreprenons. On ne serait pas un peu paranos par hasard ? Avec certitude, non, mais soupçonneux, oui. Le lendemain, quand tout va bien, on rit de ces idées noires qui nous hantaient encore la veille.
Rien à voir avec le véritable paranoïaque, qui se croit habité par des voix, menacé de mort, ou selon la nature de son délire, admiré par de fervents amoureux qui dissimulent leurs sentiments. Car la paranoïa est une psychose et celui qui en souffre est un authentique délirant.
Historique
Au 19ème siècle, la paranoïa caractérise le délire de « celui qui pense à côté ». Puis Kraeplin, définit le délire du paranoïaque comme construit, sectorisé, l’opposant ainsi aux délires paranoïdes qui sont déstructurés et diffus. A partir, du 20ème siècle, les auteurs utilisent les expressions « délire d’interprétation » ou « folie raisonnante » pour définir celui du paranoïaque. Puis Gaëtan de Clérambault distingue les délires d’interprétation des délires passionnels.
En 1911, Freud publie l’analyse du cas Schreber, dans laquelle il fournit une théorie du mécanisme de la psychose paranoïaque. Cet homme, un juriste stérile que Freud décrit comme brillant, se croit l’élu de Dieu. Il est alors persuadé d’avoir été engrossé par lui pour donner naissance à une nouvelle humanité. Dans son étude, Freud insiste sur l’origine sexuelle de la pathologie et notamment sur sa relation avec une homosexualité latente et refoulée. Il montre, en outre, que la psychose est la reconstruction d’une réalité hallucinatoire.
En 1933, Lacan s’intéresse aux sœurs Papin, dont le passage à l’acte meurtrier est lié à une psychose paranoïaque.
Actuellement, dans le groupe des délires paranoïaques, la psychiatrie française distingue : les délires d’interprétation systématisés, les délires sensitifs de relation et les délires passionnels.
Symptômes
La paranoïa est, avec la schizophrénie, la psychose la plus répandue. Le délire paranoïaque s’installe de façon insidieuse, le plus souvent autour de la quarantaine. Il survient suite à un traumatisme, ou à un évènement marquant, comme la naissance d’un enfant, un mariage...
Il se caractérise par le mécanisme de projection. C'est-à-dire que le paranoïaque attribue aux autres ses propres sentiments de haine ou érotiques qu’il ne reconnaît pas. Si bien que les autres lui apparaissent comme persécuteurs. D’où son attitude méfiante, suspicieuse et agressive. Attention toutefois aux apparences qui sont parfois trompeuses, car le délire du parano n’est pas des plus bruyants. A propos des sœurs Papin, qui ont tué leurs patronnes d’une façon épouvantable, Lacan écrit qu’elles sont apparues aux trois médecins experts sans aucun signe de délire ni de démence. Car si le parano semble plus renfermé que la moyenne, il reste souvent cohérent, sa pensée est claire et ordonnée et il réussit à emporter l’adhésion de son entourage. Tout au moins au début, parce qu’il arrive un moment où l’on se rend compte de ses incohérences.
Alors comment repérer un parano sans se laisser embarquer par son délire de persécution ? Le parano, c’est le roi du sophisme : son raisonnement est valide en apparence, mais il se base sur des prémisses fausses. La différence avec le sophiste, c’est qu’il ne cherche pas à nous tromper. Il croit vraiment à son histoire de filature qui prend rapidement l’allure d’un roman policier. Lorsqu’il délire, il interprète chaque nouveau fait, renforçant ainsi sa conviction qu’on lui en veut et qu’on le surveille. Au début, on le croit quand il soutient mordicus que toute la copropriété s’est liguée contre lui parce qu’il a planté des géraniums alors que les roses avaient été votées à l’unanimité. On est un peu surpris lorsqu’il soupçonne son collègue de travail de faire partie du complot ou qu’il raconte que sa voiture a été trafiquée, simplement parce - qu’il a du mal à démarrer. Et puis, quand il explique qu’on parle de son affaire dans les journaux et que les feux de la circulation sont télécommandés pour provoquer sa mort dans un accident, on a les chocottes. Il y a de quoi. D’autant plus qu’il n’arrête pas de déposer des plaintes contre X et envisage de déménager pour se protéger d’une entité malveillante et inconnue de tous.
A ce stade avancé du délire, vous comprenez enfin qu’il raconte n’importe quoi. Ce n’est pas une raison pour vous moquer de lui. Freud nous enseigne que son délire est une tentative de guérison, une façon de rebâtir le monde. Drôle de monde, c’est vrai. Surtout quand on sait que, dans ses délires, le président Schreber se voyait attaqué par des jeunes filles converties en oiseaux chargés de poison de cadavre !
Alors, mieux vaut faire semblant de prendre au sérieux ces projets de contre-attaque, tout en adoptant une attitude chaleureuse et en gardant ses distances. La vie avec lui est compliquée, mais viendra le moment où il baissera la garde pour sombrer dans la dépression. Ce sera le l’occasion de l’emmener consulter. Il en a besoin.
Lorsque le délire de relation s’empare du parano, on a affaire à des personnalités sensitives, plus délicates, qui n’ont pas l’assurance des vrais tempéraments paranoïaques. Elles sont hypersensibles et si l’on ne veut pas s’attirer leurs foudres, on a intérêt à ménager leur susceptibilité. Malgré leurs grands airs, ces personnes orgueilleuses et dignes sont en réalité vulnérables. Elles souffrent de frustrations précoces, ont subi des rejets et ressassent péniblement leurs échecs passés. Ces écorchés vifs sont susceptibles et concoctent des plans de vengeance en se morfondant dans la dépression et l’hypocondrie. Mais, là aussi, les apparences sont trompeuses. Leur haine n’a d’égale que leur amour et si les brimades ont été trop importantes dans la petite enfance, vous risquez le passage à tabac. Pensez aux sœurs Papin. Deux créatures discrètes et dévouées, prêtes à tout pour satisfaire Madame Lancelin, leur patronne. Une remarque de cette dernière sur le linge qui n’a pas été repassé et voilà la patronne et sa fille énuclées vivantes, tailladées à coups de couteau. Pas de délire tapageur, non, mais un crime qui restera dans les annales.
Avec les délires passionnels, on est dans le bruit et la fureur. Ils se caractérisent par la violence des émotions et les comportements tapageurs qui en découlent. Le parano se passionne pour une cause ou une personne en laquelle il investit toute sa charge affective et son énergie. Si son délire est érotomaniaque, il décrète qu’on l’aime en secret et poursuit l’élu de son cœur. Dans un délire de revendication, il exigera que justice soit faite ou que la vérité éclate pour obtenir la reconnaissance de son bon droit. Enfin, s’il souffre d’un délire de jalousie, il se persuade qu’on le trompe et poursuit sans relâche l’infidèle.
Dans le film, « L’enfer » de Chabrol, Paul, s’imagine que sa belle épouse le trompe. Miné par sa jalousie, il entend des voix qui lui confirment l’infidélité de cette dernière. S’engage alors une véritable course aux preuves nécessitant surveillance accrue et filatures incessantes. Leur couple n’y résiste pas et Paul sombre dans la folie.
Paranoïaques, non, l’humanité tout entière ne vous en veut pas. En revanche, la réciproque est vraie.
Contre l’ennemi, vous érigez un système de défense rigide que vous utilisez comme des missiles de propulsion lancés à la première offense.
En réalité, vous tremblez devant vos pulsions destructrices que vous projetez sur les autres.
Vous n’acceptez d’aimer qu’au prix d’une haine féroce et un rien peut vous faire franchir la frontière de la criminalité.